J’ai partagé hier matin sur Twitter un texte de Cal Sorrows, qui est un sataniste laveyen et l’administrateur de la page Facebook Satanism, dans lequel il s’inquiétait des évolutions récentes du satanisme et de la dilution des fondamentaux posés par la Bible Satanique. Il renvoyait dos à dos les choix récents du Temple Satanique et de l’Église de Satan de Gilmore, mais ce qui a principalement attiré mon attention est cet extrait:
« Il s’agit pour moi de la plus inquiétante -non, HORRIFIANTE- conséquence potentielle du changement de visage du satanisme. L’explosion d’intérêt pour le satanisme/les Illuminati, principalement en Afrique, a donné naissance à une nouvelle génération de personnes pour qui le satanisme est synonyme de sacrifier des vierges, boire du sang, manger des bébés et invoquer des démons: et ça s’étend. Comme nos lecteurs réguliers le savent, 95% des messages que nous recevons ici au QG de la page Satanism viennent d’Afrique subsaharienne, d’Inde, du Pakistan, des Philippines, du Vietnam, d’Amérique du Sud, de la Turquie, du Maroc, de l’UAE, et d’Égypte – et absolument chaque personne qui se pointe dans la boite de réception veut savoir qui elle doit assassiner pour attirer SON attention afin qu’il la rende milliardaire. Mais il ne s’agit pas juste de jeunes déconnectés qui expérimentent avec les forces obscures: en fait, la plupart des personnes qui nous contactent sont dans le groupe d’âge 20-30 ans, et chaque jour il y a un nouveau fait divers dans ces régions dans lequel des idiots ont commis un crime odieux au nom de Satan, influencés par les sermons de leurs pasteurs bidons, les théoriciens du complots, la spiritualité indigène longtemps étouffée, le désespoir, et les rapeurs qui tentent de suggérer qu’ils font partie d’une élite globale qui règne en secret sur la planète. »
Sa page comporte 23 085 abonnés. La mienne (Templiers Sataniques en France), n’en comporte pour l’instant que 55, mais j’observe que ce chiffre inclut également une proportion importante de membres qui sont originaires de pays en voie de développement. Hier, un inconnu originaire d’Inde m’a envoyé une offre d' »amitié » sur Facebook, puis plusieurs messages privés pour me demander des informations sur « la sorcellerie satanique ». Comme j’ai tardé à répondre (je pensais lui envoyer une liste de liens d’organisations satanistes et une bibliographie dans la soirée) il s’est mis vers midi à me bombarder d’appels vidéos sur Facebook, entrecoupés de MP particulièrement pressants. Du coup, mi-agacé mi-inquiet, je l’ai bloqué sans chercher à discuter plus avant.
Ces deux expériences recoupent l’agacement d’un très grand nombre de blogueurs et d’administrateurs de sites ou de pages satanistes, qui reçoivent très régulièrement des messages de personnes désireuses de vendre leur âme, de faire partie des Illuminati, etc.
Même une sataniste théiste « spiritualiste » comme Venus Satanas, qui propose sur son blog un rituel de pacte satanique qui relève du rite d’initiation spirituel et non de la recherche de gains matériels, se plaint de ce phénomène:
« Tant de lettres m’ont été envoyées depuis des années par des personnes de toutes les parties du globe qui me demandaient si Satan pouvaient les rendre riches, ou populaires ou célèbres.
D’après mon expérience, la vie ne fonctionne pas de cette manière. Si c’était si facile ne pensez-vous pas que tout le monde ferait de même ?
L’idée est que vous pouvez « vendre » votre âme (quelque chose qui n’est pas matériel) en échange de quelque chose qui est matériel. J’ai trouvé que la plupart de ces lettres viennent d’Afrique, où les gens semblent un peu en retard sur tout ce qui touche au satanisme en général. Non seulement ils sont en train de gérer une panique satanique en cours, mais il semble que la plupart de leurs informations sur le satanisme viennent de sources chrétiennes, malheureusement. Et nous savons tous que les chrétiens ne sont pas la source d’information la plus fiable sur le satanisme. C’est le cas le plus courant, mais j’ai rencontré des personnes de toute origine qui croyaient qu’elles pouvaient « juste vendre leur âme pour devenir riches ». (…)
Satan n’est pas un génie magique qui peut exaucer vos souhaits. Satan n’est pas là pour satisfaire vos caprices. Cependant si vous êtes prêts à travailler dur pour obtenir de la vie ce que vous voulez et décider de vous aligner sur Satan au moyen d’un pacte cela ne peut que vous bénéficier sur le long terme. Mais de telles choses n’arrivent que grâce à un travail intensif, à la persévérance et à un peu de chance »
Personnellement, ce phénomène me fait penser à une section du livre de Ruben van Luijk Children of Lucifer : The Origins of Modern Religious Satanism (Oxford University Press, 2016) : « Satanism before the Modern Age« , où van Luijk signale plusieurs exemples de « pactes avec le diable » aux XVIème et XVIIème siècles de personnes, souvent dans des situations désespérées, qui pensaient suivant des présupposés chrétiens, mais qui étaient prêtes à tout pour améliorer leur situation matérielle (choix qui pour illusoire qu’il me parait être n’a rien de forcément méprisable, dans des situations où répondre aux nécessité les plus basiques de la vie quotidienne (se nourrir, se loger…) est une angoisse de chaque instant, et cela vaut pour nos apprentis satanistes indiens ou africains actuels):
« Évidemment, avoir recours aux pouvoirs sataniques contient une critique implicite de certains des principes du christianisme « traditionnel ». Mais, autant que nous pouvons le dire d’après nos maigres sources, ce n’est pas ce qui intéressait la plupart de ces précurseurs du satanisme moderne. Leur satanisme ne se concentrait pas sur des questions doctrinales ou une explication de l’univers. Au contraire, il était éminemment pragmatique dans son rapport au surnaturel, que celui-ci soit « bon » ou « mauvais », principalement conçu comme une source de pouvoir, de richesse, et de prospérité. Comme les sataniens de l’antiquité tardive décrits par Épiphane de Salamine, ils s’abritaient simplement auprès de Satan parce qu’il était fort et puissant et par conséquent capable d’accomplir leurs désirs ».
Et quelques pages plus loin, à la fin de la même section:
« Un autre aspect de ces premières traces d’auto-identification et d’innovation sataniste doit être ici également souligné: leur marginalité extrême, à la fois sociologique et historique, vis-à-vis des forces dominantes d’attribution. Les rares exemples de satanisme que nous rencontrons au cours de cette période sont le fait d’individus isolés qui sont dans des situations désespérées ou qui peuvent être situées à l’extrême marge de la société ».
Je ne connais pas grand chose à la vie quotidienne des personnes qui habitent les pays que ce billet et les textes qu’il cite mentionnent. J’ai cependant été frappé, comme Cal Sorrows et Venus Satanas, par les articles quasi quotidiens de journaux locaux citant des chasses aux sorcières ou des suspicions de crimes satanistes, même si je soupçonne qu’au moins une proportion très importante n’a en fait rien à voir avec le satanisme ou la magie. Plus largement, et mondialement, j’observe également, depuis quelques mois, une résurgence très préoccupante de la panique satanique dans les pays occidentaux: « pizzagate » aux États-Unis, retour des « memory wars« , rumeurs d’abus rituels sataniques partagées sur les réseaux sociaux francophones et anglophones.
Toujours est-il que cette confluence de chasses aux sorcières et d’intérêt, pour le combattre ou le rejoindre, pour un satanisme qui correspond aux images d’Épinal du christianisme le plus conservateur, dans des pays où, pour le trop peu que j’en connais (et je présente par avance mes excuses pour les images d’Épinal que je contribue peut être moi-même à propager dans ce billet), la démocratie n’est nullement , pour un grand nombre d’entre eux, un acquis, où la violence peut être très présente, voire quotidienne, et où le désespoir et le dénuement matériel sont grands, n’est guère rassurant, et est me semble-t-il à suivre et étudier de près, si ce n’est pas déjà le cas.