Ce billet, que je comptais publier en novembre dernier, devait comporter, outre la petite relecture autobiographique qui suit, deux autres parties comportant des réflexions plus générales sur l’ésotérisme d’une part, et sur les « nouveaux mouvements religieux »/ »sectes » d’autre part. Comme il a remué quelques mémoires douloureuses en moi, et que par ailleurs j’ai eu la mauvaise idée de m’isoler à la BNF pour l’écrire, ce qui a ravivé le (mauvais) souvenir de ma période étudiante, j’ai fait un blocage pendant plusieurs mois. Je n’en suis toujours pas satisfait en l’état, mais je le publie pour libérer ma conscience et passer à d’autres projets d’articles.

1)Quand j’étais enfant, j’ai eu ma période de fascination pour les horoscopes, dissuadée par mes parents, mais vers 18-20 ans que j’ai réellement commencé à m’intéresser à l’ésotérisme.

Les différentes étapes ont été :

-l’achat d’un jeu de rôle juste après le bac, en 1995, qui s’appelait Kult, et dont l’univers fictif puisait largement dans le gnosticisme et la Qabale. J’ignorais à l’époque que ce jeu étais profondément inspiré par le livre Qabale, qliphot et magie goétique de Thomas Karlsson, le fondateur en 1989 de l’organisation « post-sataniste » (Kennet Granholm) suédoise Dragon Rouge.

-la lecture dans le magazine Metallian d’interviews de musiciens de black metal, dont un certain nombre faisaient ouvertement appel à des thématiques ésotériques.

-la découverte, dans un livre trouvé dans la bibliothèque de mon père appelé Les Controverses du Christianisme, de l’existence historique du gnosticisme. J’y reconnaissais certains éléments de l’univers de Kult qui m’avaient marqués et dont je prenais enfin conscience de l’origine historique.

-j’ai eu une petite mais intense période d’intérêt en hypokhâgne et khâgne pour l’hindouisme, qui m’a fait prendre conscience que des religions polythéistes (bon, hénothéiste dans ce cas) existaient toujours. Je me suis intéressé par la suite au néopaganisme. Par ailleurs, j’ai commencé à rencontrer le nom de René Guénon.

-en octobre 1997, de mauvaise humeur après avoir eu une mauvaise note en philo, j’ai franchi le pas d’aller dans le rayon ésotérisme d’une Fnac et d’acheter le livre l’Esotérisme (1990) de Pierre A. Riffard dans la collection Bouquins. Ce livre contenait une anthologie de textes qui m’a fascinée (seul, très gros, bémol : la manière dont l’auteur défendait l’Omraam Aivanhov, qu’il disait pourtant accusé d’abus sexuels, mais selon lui à tort).

-je me suis mis à écumer les librairies ésotériques (à l’époque, je n’avais pas d’accès à internet). Je me suis mis à lire des ouvrages de et sur René Guénon (auquel je n’ai jamais réussi à accrocher), des universitaires comme Antoine Faivre. Je me suis aussi mis aux pratiques divinatoires : j’ai appris à dresser mon thème astral (sans ordinateur à l’époque), je me suis intéressé au tarot et au Yi Jing.

Cette période d’intérêt pour l’ésotérisme n’a pas durée, et est passée au tournant des années 2000.

2) Les raisons en sont les suivantes :

-j’ai été mis mal à l’aise par la lecture d’un livre collectif de plusieurs universitaires spécialistes de l’ésotérisme et/ ou des nouveaux mouvements religieux, qui s’appelait Pour en Finir avec les Sectes, chez Dervy (1996). Ce livre était co-dirigé par Massimo Introvigne, dont j’avais beaucoup apprécié Enquête sur le Satanisme (Dervy 1997). Ce fut ma découverte du CESNUR et de la position « pro-sectes » de nombre d’universitaires spécialistes de sciences religieuses. Ce malaise a été confirmé par la lecture à la même époque du livre Le Retour du Diable de Paul Ariès aux éditions Golias, soit dit en passant un vraiment très mauvais livre sur le satanisme, qui m’a durablement fâché avec l’éditeur, mais qui contenait des allégations inquiétantes contre des universitaires que je lisais beaucoup à l’époque, dont Introvigne et Antoine Faivre.

– je suis redevenu chrétien vers la même époque, via la lecture d’Antoine Faivre, justement, qui m’a fait m’intéresser à la théosophie chrétienne : Louis-Claude de Saint Martin, Jacob Boehme, Franz von Baader etc. De fil en aiguille, je suis passé à des auteurs chrétiens avec un intérêt pour la théosophie, comme Nicolas Berdiaev, puis à des auteurs catholiques.

– ça peut paraître bête, mais je n’ai découvert qu’à cette époque que le catholicisme interdisait la divination et la magie. Ca m’a barré d’aller lire de la magie cérémonielle (même s’il y avait quelques livres à l’époque de la Golden Dawn disponibles en traduction je n’avais pas encore franchi le pas) et m’a motivé pour arrêter la divination.

-sur ce dernier point j’ai eu un gros problème : d’une part ma pratique de la divination était devenu compulsive. J’étais du genre à refaire un tirage de tarot si le résultat ne me plaisait pas, ou même s’il me plaisait pour être sûr (ce qui est déconseillé par tous les manuels) et j’en suis arrivé à un point où j’enchaînais pendant des heures des tirages qui ne faisaient qu’augmenter ma confusion et mon angoisse. Par ailleurs, j’avais acheté quelques temps auparavant un gros livre sur l’astrologie chinoise : en tentant de construire mon thème, je suis tombé sur l’affirmation « mort rapide et pas de chance », qui m’a terrifiée. D’un côté, elle me poussait à rejeter le bien-fondé de l’astrologie, mais en même temps, j’avais tellement peur que je n’osais pas cessé d’y croire. Loin de diminuer, mon utilisation compulsive des tarots et du Yi Jing s’est intensifiée, car je tentais de mettre les prédictions en défaut : quand je tombais sur un résultat qui semblait être manifestement faux, loin de m’en contenter, je refaisais un tirage pour vérifier, et quand je tombais sur un résultat qui semblait juste, je m’effondrais de désespoir. Bien évidemment, ma démarche n’avait pas de sens. Un résultat au hasard peut tomber aussi bien juste que faux, et pour « prouver » que le tarot ne prédisait rien, il m’aurait fallu recourir à des analyses statistiques que j’étais bien incapable de mener. Mais je m’étais complètement enfermé psychiquement à l’époque. J’ai mis un temps fou à m’en sortir, et quand j’y suis parvenu, je ne voulais plus entendre parler de prédictions ni d’ésotérisme.

Par ailleurs, tant la réductions des postes offerts aux concours de philosophie que mes tribulations ésotériques m’avaient dégoûtés de la philo. J’ai fini par passer un concours administratif en 2003, j’ai intégré une paroisse et un groupe de jeunes pros catholiques en 2005, et j’ai laissé ce passé derrière moi, définitivement, pensais-je.

3) J’ai raconté dans mon billet Pourquoi Je Suis Devenu Sataniste les différentes étapes de ma période catholique, et pourquoi j’ai fini par perdre la foi fin 2015 et apostasier publiquement fin 2016. Je voudrais cependant revenir sur deux aspects de cette période.

a) Le Hellfest 2011 : à l’époque, je tenais un blog, Inner Light, sur le metal chrétien et le black metal, et je polémiquais avec les militants catholiques anti-Hellfest. J’avais rendez-vous, le dimanche de cette édition du Hellfest, avec plusieurs catholiques et métalleux qui participaient aux discussions sur mon blog. Il s’agissait de « Marie du Hellfest », une métalleuse active depuis 2009 dans le dialogue avec les catholiques, et son conjoint, et du blogueur catholique et ancien occultiste Pneumatis. Marie était fan du groupe de metal symphonique Therion, dont les membres sont des occultistes suédois liés à Dragon Rouge, ce que nous ignorions tous au moment d’assister au concert. Dans mon souvenir, j’avais beaucoup apprécié leur prestation. A un moment, Pneumatis s’est retourné vers moi et m’a regardé d’un air un peu bizarre, mais je n’ai pas compris sur le coup. Quand le groupe s’est arrêté de jouer, il nous a dit « ils sont gentils : leur dernier morceau c’était vraiment de la musique » et il semblait vraiment sous le choc : il avait perçu un rituel de magie alors qu’il ne s’y attendait pas. Il a publié un billet sur cet incident, qui lui a valu une grosse polémique. J’ai moi-même donné mes impressions à l’époque. Pour résumer, je suis sûr qu’il n’avait pas bu ni pris de drogues, je suis sûr qu’il ignorais le background ésotérique de Therion, et de ce que je connais d’eux, il me paraît vraisemblable qu’ils aient conçut leur prestation à la fois comme un concert et comme un rituel. Ce n’est d’aucune manière une preuve de l’existence de la magie, mais c’est un épisode pour lequel je ne trouve pas d’autres explications qui me convainquent. Cela ne m’a d’ailleurs pas du tout fait plaisir à l’époque, car je m’étais complètement sorti de ma période ésotérique, je me sentais beaucoup plus heureux qu’à cette époque, et je n’avais pas du tout envie d’y revenir. Mais j’ai gardé cet incident dans un coin de ma tête, sans rien en conclure aujourd’hui encore.

b) L’une des raisons pour lesquelles je me sentais heureux était que par ma vie de prière, par les retraites et les messes auxquelles je participais, j’avais l’impression d’expérimenter des signes, des « clins Dieu » que j’étais sur la bonne voie et que j’avais enfin trouvé ma place. Quand j’ai perdu ma foi en 2016, j’en suis venu à interpréter, comme je l’ai déjà dit ailleurs, tous ces signes comme de l’autosuggestion et une forme de conditionnement, et ça m’a bloqué, et me bloque encore un peu , face aux rituels et aux expériences spirituelles. J’ai peur de retomber dans un piège. Mon problème, toujours actuel, n’est plus depuis fort longtemps une inclination à croire au surnaturel, par éducation, du fait de biais cognitifs etc., mais au contraire une sorte de paralysie psychologique qui me rend incapable de suspendre mon scepticisme et de me remettre à croire. Et je ne supporte pas. Je ne supporte pas.

Lorsque j’ai intégré le Temple Satanique, j’étais donc résolument rationaliste et sceptique (pas athée par contre : j’ai trop pris l’habitude de croire en quelque chose et l’état d’esprit athée m’est radicalement étranger : j’étais et suis toujours agnostique). Dans des brouillons d’articles que je n’ai finalement pas publié quand je commençais à construire mon nouveau blog Chroniques Sataniques, j’avais même des propos assez durs contre le satanisme théiste et occultiste. A l’époque, j’ai même acheté un livre de Richard Dawkins et tenté de me convaincre que c’est un auteur intéressant sur la question des religions. C’est pour dire!

4) Pourtant je me suis à nouveau intéressé à l’ésotérisme. Plusieurs raisons :

– j’ai été extrêmement déçu par le Temple Satanique (voire mon ancien billet et aussi ce site), qui a un management tyrannique et opaque, n’hésite pas pas à intenter des procès-baillons à ses anciens membres sous des prétextes futiles, refuse catégoriquement de publier ses comptes alors qu’il vit essentiellement de dons et de financements participatifs, échoue systématiquement dans toutes ses actions, à tel point qu’on peut se demander s’il y met vraiment du coeur, et est extrêmement ambigu idéologiquement. J’ai pu constater par ailleurs que tout rationnels et sceptiques que se considèrent ses membres, la plupart d’entre eux sont tellement fascinés par la communauté et le narratif qu’il leur apporte, qu’ils sont absolument sourds aux critiques. Jusqu’au jour où ils tombent eux-mêmes en disgrâce, et ça peut être pour des raisons très très anecdotiques. Ce que m’a révélé mon expérience au sein de cette organisation, c’est que le scepticisme, le rationalisme et l’athéisme ne sont nullement des défenses invincibles contre les dérives sectaires. Par ailleurs, j’ai été marqué de voir que certains anciens membres tentaient de se reconstruire par l’adhésion à des formes plus ésotériques de satanisme.

-lire sérieusement sur le satanisme oblige à s’intéresser à l’histoire au moins récente de l’occultisme : la représentation actuelle de Baphomet et le pentagramme inversé comme symbole du diable viennent d’Eliphas Lévi; Aleister Crowley a eu une influence fondamentale sur le satanisme religieux etc. J’ai retrouvé dès 2016 un intérêt intellectuel à lire sur l’histoire de l’ésotérisme. J’y avais même consacré tout un blog, Occulture, avant de rendre public mon changement de religion.

-la lecture de The Triumph of the Moon de Ronald Hutton (OUP, 1999), qui torpille complètement les prétentions de la Wicca à être le prolongement actuel de la survivance d’un culte de sorcières ininterrompu depuis l’antiquité, et démontre qu’il s’agit d’une pure création de Gerald Gardner dans les années 1950, tout en manifestant une vrai bienveillance envers cette organisation dont je ne faisais jusqu’alors pas grand cas, m’a fait forte impression et m’a montré qu’on pouvait être critique d’un nouveau mouvement religieux sans pour autant lui nier toute valeur et tout intérêt pour ses membres.

-le Temple Satanique, de même que l’Église de Satan, accorde une valeur purement symbolique et psychodramatique aux rituels. Il reste qu’à les pratiquer, beaucoup passent le cap du symbole pour s’intéresser à la magie cérémonielle (l’exemple le plus célèbre est Michael A. Aquino, qui décrit sa propre expérience dans son livre The Church of Satan) , dont les rituels sataniques même athées sont souvent très inspirés au moins sur la forme. Ce fut mon cas.

Comme Evyn Aitch, qui n’a jamais fait partie du Temple Satanique mais a bien connu les membres de l’ancien chapitre de Detroit, l’écrit dans son livre Satanism in Theory and Practice ( Fall of Man, 2022), à propos de ceux-ci:

I say « nearly all » because, despite what the organisation might publicly assert, many members of The Satanic Temple are not purely rationalist and engage in genuinely esoteric practices and ritual performances, perhaps unbeknownst to some of the more conventional leadership.

-la fréquentation sur les réseaux sociaux de satanistes théistes et occultistes m’a rendu plus réceptif à leurs vues.

– j’ai beaucoup dialogué à une époque avec un sataniste strictement athée, qui défendait sur son blog (aujourd’hui défunt mais accessible en cache) The Devil’s Fane, une définition très solide, mais totalement exclusive du surnaturel, du satanisme. Nos échanges m’ont convaincu que je n’étais vraiment pas du tout fait pour l’athéisme, même dans sa variante sataniste. J’ai viscéralement besoin de croire en quelque chose.

– quand on a été dégoûté par le christianisme, qu’on est repoussé par l’athéisme, que les autres grandes religions ne nous attirent pas non plus, je ne vois pas vraiment quel autre choix il reste que de s’intéresser à l’ésotérisme.

Conclusion:

  • J’ai essayé à plusieurs reprises d’accomplir des rituels magiques pour me convaincre. J’ai un autel de rituel chez moi, comme je l’ai dit plusieurs fois, et j’ai même fait des rituels de démonolâtrie dans ma chambre alors que j’étais hospitalisé en cure de désintoxication en février 2022. J’ai même pris contact avec une branche française de l’OTO en 2021. J’avoue qu’à force de ne pas y arriver, je me suis plus ou moins découragé depuis un an et que je lis surtout, depuis cette époque, des livres universitaires sur l’ésotérisme et le néopaganisme, plutôt que des livres occultistes ou néopaïens à proprement parler.
  • J’ai remarqué que beaucoup de membres influents de la sphère zététique/scepticisme sont d’anciens ésotéristes qui ont souffert de leurs anciennes croyances et sont désormais déterminés à les éradiquer. J’ai fait ce chemin il y a fort longtemps, puis je suis revenu en arrière. Je n’en tire pas de leçon générale, et je ne prétends pas que mon parcours personnel à plus de valeur ou vérité que le leur. Disons que j’ai beaucoup de mal à comprendre ce milieu.
  • Notamment, je ne souhaite pas vivre une existence dont le seul horizon se fonde sur la confiance en le seul consensus scientifique et un scepticisme de principe envers toutes croyances surnaturels ou conviction hors consensus. Cela ne me suffit pas, tout simplement, pour être heureux, et je n’en ai rien à faire d’avoir une discipline intellectuelle qui met à distance mes bais cognitifs si c’est pour vivre une vie terne et désenchantée. Mon cas ne me semble d’ailleurs nullement extraordinaire: j’ai rencontré, notamment dans le milieu satanique, plusieurs personnes qui sont officiellement athées ou sceptiques, voire proches de la zététiques, qui dans leur vie privée font occasionnellement des tirages de cartes de tarot ou s’intéressent à la magie cérémonielle. Par ailleurs, je suis d’autant moins convaincu par le mode de vie proposé par un milieu dont les acteurs les plus visibles semblent incapables de tenir quinze jours sans (re)commencer à se mettre mutuellement violemment sur la tronche.
  • Il me fut reproché récemment sur Twitter de faire la promotion d’un livre de Renaud Evrard, qui défend ouvertement la parapsychologie. Étant comme je l’ai dit plus haut bloqué psychologiquement dans une attitude de scepticisme systématique, hyperbolique et viscéral (que je vis comme une vraie souffrance et que je cherche à combattre) depuis plusieurs années, je comprends très bien qu’on ait le droit, non seulement de refuser par principe la possibilité du paranormal, mais aussi de réfuter systématiquement ceux de ses défenseurs qui font un mauvais usage de la science pour essayer de le démontrer, d’autant plus que j’ai un biais particulièrement fort en faveur de son inexistence. De même que ce champ a été très régulièrement le lieu de fraudes et d’escroquerie, qu’il n’y a rien d’anormal à vouloir prévenir et dénoncer. Par ailleurs, les lignes budgétaires de la recherche universitaire étant ce qu’elle sont de nos jours, il me semble que la question d’un financement universitaire de recherches qui peuvent sembler contestables dans leur principe même peut être posée tout à fait légitimement dans toute sa dimension critique. Enfin, même si cela ne m’a pas été dit, il m’a semblé comprendre après coup que le fait que Renaud Evrard a écrit un livre en hommage à Jean-Marie Pelt, lui même défenseur de la biodynamie, un sujet particulièrement sensible dans le milieu sceptique a pu jouer un rôle moteur dans cette critique qui m’a été faite.
  • En sens contraire, plusieurs éléments de réponse : je n’ai pas lu le bouquin sur Jean-Marie Pelt. Je n’ai, très sincèrement, aucune inclination personnelle en faveur de la société d’anthroposophie, et je suis conscient qu’il y a dans le milieu sceptique français plusieurs anciennes victimes de celle-ci. En même temps, je n’ai pas connaissance, et je doute fortement, de liens directs de soutien d’Evrard en faveur de l’anthroposophie, je note qu’il collabore à l’occasion avec des figures de premier plan de la zététique comme Monvoisin ou Abrassart, qu’il est membre du conseil d’administration du Comité Para et qu’il figurait parmi les intervenants des Rencontres de l’Esprit Critique (REC) de Toulouse en 2022. Il a même préfacé un livre d’Acermendax à la demande de ce dernier, for crying out loud! Si des figures aussi éminentes du milieu sceptique trouvent opportun de s’intéresser à son travail, pourquoi moi, qui me tient à très grande distance du dit milieu, m’en priverais-je?
  • Ensuite, je confesse un problème : je n’ai aucune culture scientifique notable, et je suis bien incapable, tant en termes de connaissances personnelles que d’accès aux expérimentations des uns et des autres, que de moyens financiers, matériels et techniques de vérification par moi-même, de trancher les nombreux désaccords entre parapsychologues et scientifiques. À un moment donné, il faut que je décide envers qui j’accorde ma confiance. Et en temps normal, comme la plupart des gens, c’est au consensus scientifique que je l’accorde. En effet, je constate les transformations importantes de notre vie, dans le sens d’une amélioration matérielle, depuis de nombreuses décennies, voire de nombreux siècles, l’avancée des connaissances, les progrès de la médecine, traduits par l’augmentation de l’espérance de vie hors évènements exceptionnels (au passage, fils de médecin, et tout sympathisant de l’ésotérisme que que je sois, je n’ai pas d’inclination particulière en faveur des médecines alternatives, même si j’ai lu avec intérêt le récent livre de Fanny Charrasse, une recherche ethnographique sur la pratique du magnétisme en France, et oui, j’entends très bien par ailleurs, et je soutiens, le combat, y compris juridique, contre l’imposture et le risque de pertes de chances). Cela dit, je pense qu’il y existe des domaines extraordinaires dans lesquels c’est trop demander de se reposer juste sur le consensus scientifique. Un exemple : Renaud Evrard s’intéresse dans certains de ses textes aux expériences de mort imminentes. Jusqu’ici, je ne m’y suis pas intéressé particulièrement. Cela dit, ayant des parents fort âgés auxquels je suis extrêmement attaché, et souffrant personnellement d’un manque d’espérance, je revendique le droit de m’y intéresser très prochainement. J’accueille très volontiers toute objection argumentée contre tout espoir éventuellement faux, voir manipulé par un charlatan, que j’aurais construit, mais le refus par principe de la possibilité du paranormal, ce n’est tout simplement pas une proposition que je peux accepter de me faire imposer. La critique incisive et rigoureuse de tout argument en faveur du paranormal me semble une évidence saine. Le refus de principe de toute discussion contradictoire sur ce dernier m’horrifie et suscite mon rejet. L’espoir d’une vie meilleure n’est pas en soi de la pseudo-science, même si un certain nombre de propositions qui en dérivent le sont. Autant il est compréhensible de « débunker » des faux espoirs fondés sur certaines affirmations ponctuelles, autant je refuse absolument la condamnation par principe de la volonté de chercher des justifications scientifique à des espérances d’ordre surnaturel. Espérer n’est ni une erreur ni une faute. J’imagine un dialogue sain entre parapsychologues et sceptiques comme un échange éternel d’objections et de réponses, à partir desquelles le débat se nuance et et se déplace sans cesse, comme il semble que ce soit d’ailleurs mené à l’occasion, plutôt que comme un gatekeeping réciproque d’impossibilités ou de possibilités supposées.
  • De manière similaire, j’ai beaucoup de mal avec le débat sur les sectes. Comme je l’ai écrit plus haut, je suis profondément mal à l’aise avec la posture d’un certain nombre d’universitaires qui sont systématiquement complaisants avec les phénomènes sectaires, voire qui soutiennent ouvertement, y compris devant les tribunaux, des organisations du genre Église de scientologie ou Témoins de Jéhovah (l’un d’eux, Joseph Laycock, présente d’ailleurs cette attitude envers le Temple Satanique, et est l’auteur d’un « livre de référence » sur ce dernier, qui analyse des évènements que j’ai personnellement vécu, et qui est à mes yeux un tissu de mensonges).
  • En sens contraire, j’ai de plus en plus de difficulté à supporter l’attitude d’un certain nombre de militants du camp adverse, qui semblent voir dans chaque croyance ou pratique un peu étrange ou non conventionnelle une « dérive sectaire », et se complaire par ailleurs dans des analyses et des connaissances approximatives sur le sujet. Sur certaines organisations dont beaucoup de victimes ont rejoint leurs rangs, ou sur lesquels quelques universitaires (pas tous, hein) ont fait un travail sérieux et clairement énoncé les problèmes, comme la société d’anthroposophie ou l’Église de scientologie, les militants « antisectes » semblent parvenir à des analyses précises et informées. Sur le satanisme par contre et pour donner un exemple que j’ai l’impression d’assez bien connaître, la situation parait assez désastreuse. Et je suis au regret de devoir dire que par exemple Satanism: A Social History de Massimo Introvigne est un ouvrage bien, bien, bien plus recommandable (malgré certaines choses qui me font lever les yeux au ciel et le prix à la Brill) que les horreurs qu’ont commises sur le sujet Jacky Cordonnier, Paul Ariès ou d’ailleurs la Miviludes (j’ai d’ailleurs initié une série d’articles où j’expose tout le mal que je pense de son guide de 2006). De manière générale, l’usage que font un certain nombre d’entre eux du mot « ésotérisme », ou encore plus vaguement du « New Age« , m’amène parfois à me demander s’ils en ont une définition précise en tête. Et je m’amuse de voir une initiative récente contre les dérives sectaires s’intituler « pensée magique », concept freudien s’il en est, dans un milieu qui n’a d’ordinaire pas de mots assez durs contre la psychanalyse.
  • Pour ma part, me revendiquant moi-même d’un nouveau mouvement religieux (oui, désolé, je trouve ce terme plus valorisant que « secte » pour désigner ce que je crois, même si je suis conscient qu’il a été créé pour minimiser certains faits graves), je suis a priori très favorable à la liberté religieuse et à la liberté de conscience, mais pas au point de nier les droits des membres et anciens membres de tels mouvements, ce qui rend inenvisageable pour moi de me mettre du côté de sites du genre Bitter Winter ou Rebelle Mag (à ce sujet, l’article récent de Massimo Introvigne sur l’histoire de Pontcallec me semble très révélateur d’une sorte d’incapacité fondamentale à concevoir qu’une organisation religieuse est aussi capable d’enfreindre gravement les droits et la liberté de conscience de certains de ses membres, qui méritent la reconnaissance et la réparation des torts causés). Je trouve tout à fait normal que des mouvements religieux nouveaux ou anciens qui commettent des infractions (escroquerie, exercice illégal de la médecine, harcèlement etc.) soient sanctionnés, et je pense que certains ne se contentent pas de commettre des « dérives », mais sont intrinsèquement nocifs. Je n’ai pas de scrupules particuliers à ce que de tels mouvements soient interdits. Par contre, je n’accepte pas le sous-entendu selon lequel tous ces mouvements et toutes ces croyances poseraient par essence problème. Tous les occultistes et membres de NMR ne croient pas absolument tout et n’importe quoi, tous les néopaïens ne sont pas d’extrême droite, toutes les sorcières ne sont pas des essentialistes obsédées par le « Féminin sacré », tous les adeptes de spiritualités alternatives n’acceptent pas les yeux fermés n’importe quelque fait de maltraitance, envers eux-mêmes ou autrui. Il existe dans les milieux ésotériques des critiques internes fortes contre la conspiritualité, les dérives des médecines alternatives, l’appropriation culturelle etc. Tous ces problèmes existent en effet, et l’intérêt pour les spiritualités et religions alternatives présente des dangers évidents, dont il est important d’être conscient et de se méfier, mais elles ne s’y réduisent pas et certaines ont pu réellement embellir, voire sauver la vie, de leurs pratiquants. De même que la foi et la vie de l’Église catholique ne se réduisent pas, fort heureusement, au sexisme, aux LGBTphobies, et aux abus de pouvoir et sexuels (je sais que certains assimilent ces derniers à des dérives ésotériques dans celle-ci. Même si ce cas de figure est présent, je ne crois pas qu’il soit une explication satisfaisante du phénomène dans son ensemble). Le scepticisme, c’est très bien, avec nuance et exactitude, c’est encore mieux.
  • Pour conclure ce point sur les sectes, je pense que lorsqu’on discute de la place des religions, nouvelles ou anciennes, dans notre société, il est important de préciser notre perspective plus générale sur celle-ci, dans un sens tout simplement politique. Personnellement, je me réjouis de la fin de l’hégémonie catholique en France. Je ne souhaite pas qu’une autre autre religion parvienne un jour à une position comparable, y compris le satanisme. Je ne crois pas qu’une société sans religions soit possible ni même souhaitable. Les projets de société du type Printemps Républicain, qui prétendent faire disparaitre la religion du débat public, et qui dans les faits s’acharnent sur celles minoritaires au profit de celle (encore ) majoritaire, m’insupportent. Par ailleurs, l’idée d’une technocratie autoritaire, qui arbitrerait les politiques et les libertés publiques sur la base du consensus scientifique dans les STEM, que certes personne ne soutient sérieusement, mais qui me semble parfois trotter dans la tête de certains, serait pour moi un cauchemar. Ce que je souhaiterais (même si j’ai conscience que c’est irréaliste et que cela ne se réalisera sans doute jamais) c’est une société multireligieuse, avec une réelle diversité ouverte de croyances et de pratiques, dont aucune ne serait en position d’hégémonie et d’imposer sa vision aux autres. C’est pourquoi, même si j’ai consciences des nombreux et graves problèmes soulevés par l’émergence des nouvelles religiosités, je me refuse à condamner ces dernières en bloc.
  • Pour l’heure, n’arrivant pas à réactiver en moi une adhésion de fond à tel ou tel système de croyances, je vais faire dans mes prochains billets du débunkage de débunkeurs. Je vais continuer ma série sur le guide de 2006 sur le satanisme de la Miviludes, et je vais faire aussi un article sur la sorcellerie contemporaine et le Féminin Sacré, sujet sur lequel je vois passer beaucoup d’erreurs et d’approximations. J’y ai déjà consacré récemment un thread sur Twitter.